A la vue de ces plans de sauvetage successifs et au-delà des débats académiques sur la liquidité, la solvabilité, la réforme nécessaire de la zone euro, la restructuration éventuelle de certaines dettes souveraines, un certain nombre de questions simples et de bon sens se posent :
Première série de questions : d'où viennent tous ces milliards ? Comment cet argent est-il finalement distribué aux Etats secourus ?
Deuxième question : ces milliards suffisent-ils à régler le problème de solvabilité des Etats concernés ?
Troisième question : ces milliards mettent-ils à l'abri les systèmes bancaires de ces pays en cas de besoins de recapitalisation urgente ?
Première question: d'où viennent ces milliards et comment cet argent est-il finalement distribué aux Etats secourus ?
A vrai dire, ces sommes ne pourraient venir que de trois sources.
Premièrement, ce pourrait être de l'argent créé par la Banque centrale européenne. Concernant ces plans d'aide, cette source n'a pas été utilisée. La Banque centrale européenne a bien émis de la monnaie pour acheter des titres d'Etat des pays périphériques en difficulté. Mais il ne s'agissait pas d'argent frais puisque ces achats ont été, pour l'essentiel, réalisés sur le marché secondaire. La BCE a racheté des obligations déjà émises sur le marché secondaire qu'elle a inscrites à son bilan.
Ceci est neutre en termes de liquidité et il n'y a pas eu de création monétaire à proprement parler puisque ces achats ont donné lieu à une stérilisation de la masse monétaire ; la monétisation des dettes périphériques a été neutralisée par des retraits de liquidité de la part de la banque centrale.
Au total, depuis juin 2010, la BCE aura acheté 75 milliards d'euros de dette périphérique sans création monétaire additionnelle, donc en maintenant quasiment inchangée la taille de son bilan.
Ceci est donc différent de ce qui s'est passé au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.
La Bank Of England a acheté pour près de 200 milliards de livres de gilts depuis mars 2009 sans stérilisation de la masse monétaire.
La Fed a acheté pour 2 300 milliards de dollars de Treasuries et autres titres là aussi sans stérilisation. La première passe de quantitative easing entre mars 2009 et septembre 2009 s'est élevée à 1 700 milliards de dollars. La deuxième passe de quantitative easing entre novembre 2010 et juin 2011 a créé 600 milliards de dollars.
Deuxième source : l'emprunt et la mise sur pied de nouveaux véhicules
A cet effet, le Fonds Européen de stabilité financière (FESF) crée en mai 2010 est une société de droit privé basée au Luxembourg, dont les actionnaires sont justement les 16 Etats de la zone euro.
Pour bénéficier de la notation AAA, 100 euros émis doivent être garantis par 120 euros. C'est ce que les experts appellent le mécanisme de rehaussement.
Ce qui veut dire que les 440 milliards d'euros de garanties ne permettent d'émettre que 83% de ce montant, soit 365 milliards d'euros. En pratique, c'est moins aujourd'hui puisqu'il faut exclure les garanties apportées par les Etats secourus ainsi que les montants déjà émis pour financer les plans de sauvetage.
Le Mécanisme Européen de Stabilité Financière (MESF) devrait prendre le relais du FESF à partir de la mi-2013. La capacité de prêt effective sera de 500 milliards d'euros pour un capital de 700 milliards d'euros ; assurant ainsi un coussin potentiel de 40% à cette structure. Ce niveau de garantie ou "sur collatéralisation" devrait permettre au MESF d'obtenir la note AAA.
Sur ces 700 milliards d'euros, 80 milliards d'euros seront effectivement émis -- donc empruntés -- par le nouveau véhicule. Ils correspondent à du capital souscrit par les Etats membres en fonction de leur poids économique :
- 21,7 milliards d'euros pour l'Allemagne
- 16,3 milliards d'euros pour la France
- 14,3 milliards d'euros pour l'Italie
- 9,5 milliards d'euros pour l'Espagne.
Ces sommes viennent alourdir l'endettement de ces pays.
Les 620 milliards d'euros restants n'existent, quant à eux, pas du tout puisqu'ils seront composés de garanties et de capital non-souscrit (ce que l'on appelle encore dans le jargon le callable capital. Il se transformera en capital à souscrire dès qu'il faudra aider des Etats non encore secourus et surtout dès que les 80 milliards auront été émis et versés).
En d'autres termes, plus ça ira mal, plus il faudra transformer ce capital non souscrit en capital à souscrire et plus l'endettement des pays de la zone s'accroîtra.
Belle mutualisation du risque qui ne pourra à terme que provoquer des tensions sur les taux longs de la zone, y compris ceux des pays jugés les plus vertueux aujourd'hui.
Troisième source également utilisée pour le financement des plans de sauvetage, la mobilisation de ressources "monétaires". A la différence des ressources empruntées et donc émises sur les marchés par les véhicules décrits ci-dessus, ces ressources existent déjà puisqu'elles sont assises sur les droits de tirage spéciaux du FMI.
Chaque pays dispose au FMI en fonction de son poids économique de ce que l'on appelle les droits de tirage spéciaux (DTS). Ces droits ont été crées en 1969 pour jouer un rôle de réserves de change additionnelles pour les Etats. Ainsi l'Allemagne dispose de 13 milliards de DTS, la France de 10,7 milliards et, pour l'ensemble de la zone, ce montant s'élève à 50,4 milliards.
La parité actuelle se situe autour de 1,15 euro pour 1 DTS. Nous avons donc un total de 58 milliards d'euros. Il existe une règle qui fixe à 10 fois les quotas la limite de financement, cela signifie que l'ensemble de la zone euro a théoriquement la capacité de lever jusqu'à 580 milliards d'euros. Pour les pays aidés, on peut dire que ce matelas de 10 fois a été largement utilisé.
Par exemple, le financement par le FMI de 30 milliards d'euros (dont 10 milliards dès 2010) pour le plan grec de mai 2010 sous la forme d'un accord de confirmation équivaut à 3 200% (32 fois) de la quote-part de la Grèce dans le Fonds. Autant dire que le FMI finance la Grèce en utilisant les quote-parts d'autres pays de la zone.
Situation similaire pour le Portugal puisque dans le cadre du plan de sauvetage de mai 2011, le Mécanisme Elargi de Crédit du Fonds représente 2 300% (23 fois) de la quote-part du pays dans le FMI.
Tout cet argent émis ou tiré sur des quotes-parts est généralement distribué au fil de l'eau avec, en principe, un suivi de la mise en oeuvre des réformes structurelles et de l'assainissement budgétaire.
Par exemple, pour la Grèce, l'aide européenne du plan de mai 2010 prend la forme de prêts uniques gérés par la Commission européenne avec des décaissements trimestriels. Aujourd'hui, la Grèce a déjà touché 53 milliards du plan de 110 milliards. Avant même la finalisation d'un nouveau plan d'aide, l'actualité porte aujourd'hui sur le déblocage par la zone euro et le FMI, prévu au départ début juin 2011, de 12 milliards d'euros. Ceci correspond à la cinquième tranche du prêt accordé au pays en mai 2010.
Dans la réalité des choses et malgré la médiatisation du conditionnement de ces aides, l'argent est majoritairement emprunté puis distribué sans audit véritable des mesures mises en oeuvre en contrepartie.
Deuxième question : ces milliards suffisent-ils à réguler le problème de solvabilité des Etats concernés ?
Les autorités politiques ont souvent évoqué la possibilité d'un soutien illimité aux pays en difficulté. Tout ceci n'a de sens que si ces pays doivent faire face à une simple crise de liquidité. En revanche, si un pays insolvable reçoit un soutien "infini" de la part d'investisseurs publics, il reste insolvable. La crise est seulement repoussée dans le temps.
Pour succéder au FESF en 2013, les gouvernements de la zone euro veulent s'orienter vers la création de ce MESF, sorte de "FMI européen", capable de prêter aux pays des montants très importants puisque ses ressources sont monétaires et non empruntées sur les marchés obligataires comme celles du FESF. Il s'agit encore et toujours d'acheter du temps mais en quantité de plus en plus considérable.
En tout cas, ce qui est connu précisément aujourd'hui auprès de sources officielles ce sont les besoins d'emprunts des pays périphérique en difficultés budgétaires réelles ou potentielles sur l'horizon 2011-2013 (2013 correspond à l'échéance officielle du FESF) :
- Grèce : 78 milliards d'euros
- Portugal : 25 milliards d'euros
- Espagne : 135 milliards d'euros
- Irlande : 16 milliards d'euros.
L'addition est donc de 254 milliards d'euros. A comparer aux 365 milliards d'euros du FESF, moins ce qui a déjà été distribué.
Attention donc à la contagion à l'Espagne compte tenu de sa taille.
Troisième question : ces milliards mettent-ils à l'abri les banques en cas de besoins de recapitalisation urgente ?
Les plans de sauvetage ont aussi pour objet d'assurer la stabilité des systèmes financiers nationaux. Cela passe souvent, comme en Irlande, par la création de bad banks pour transférer des banques vers des structures étatiques les actifs toxiques. Ceci permet de libérer des fonds propres. Ce principe s'inspire de ce qui a été fait en Suède, aux Etats-Unis et au Japon à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Des ressources doivent aussi être prévues pour garantir les passifs bancaires (c'est-à-dire les dettes émises par les banques).
Il est naturellement difficile d'estimer les impacts de krachs financiers sur des dépréciations d'actifs de banques fragiles donc sur leurs besoins de recapitalisations supplémentaires inattendues.
Même avec des stress tests crédibles, la vraie question est aujourd'hui de savoir si les Etats les plus fragiles seraient capables de venir sauver à nouveau leur système bancaire national, à l'instar de ce qui s'était passé à l'automne 2008.
La réponse est évidemment non, ce qui signifie que les tailles du FESF et du futur MESF sont probablement mal calibrées. On sait, en effet, que ces tailles ont été fixées en fonction des besoins de financement connus des Etats. Mais des besoins additionnels et surtout inattendus de financement liés à la situation de certaines banques européennes, voire des besoins aujourd'hui "cachés" de certaines collectivités publiques (en Espagne et même en France) pourraient nécessiter un redimensionnement des fonds européens.
Pour assurer un financement adéquat du dispositif de soutien à l'Europe, il faudrait mettre sur la table peut-être jusqu'à 2 000 milliards d'euros selon certains. Bien évidemment, cette somme ne serait pas dépensée et ce serait juste une réserve de liquidités, encore que...
Encore une fois, ces montants suffisent juste pour parer au plus pressé, la résolution de problèmes de liquidité, et non pour traiter du problème véritable, la solvabilité.
Mory Doré est un professionnel des marchés financiers depuis plus de 20 ans ayant exercé différentes fonctions dans plusieurs grands groupes bancaires : économiste de marché ; trader et arbitragiste sur produits dérivés de taux d'intérêt ; trésorier et responsable de l'allocation des excédents de fonds propres ; responsable gestion financière.
Aujourd'hui, il est responsable du département des risques financiers dans un grand groupe bancaire mutualiste.
Durant ces 10 dernières années, il est un interlocuteur privilégié de la gestion financière et des risques financiers de son établissement auprès de différentes instances et institutions : commissaires aux comptes, Commission bancaire, Comité d'audit et Comité d'entreprise.
Il possède un diplôme de statisticien économiste de l'école nationale de la Statistique et de L'Administration économique ainsi qu'une maîtrise d'Econométrie de l'Université de Bourgogne (Dijon).
Mory Doré, MoneyWeek - La Vie Financière, 4-07-2011.
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